Bonjour à tous ! En tant que covoyageur de Maguy lors de cette semaine en Tasmanie, j'ai pris des notes et je souhaite vous conter ici nos exploits. Un article par jour, une petite carte, quelques photos.
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Aujourd’hui, nous avons prévu de descendre la Tamar Valley jusqu’au bout sur une rive, puis de traverser et de revenir par l’autre. Les étapes intermédiaires ne sont pas bien définies, on verra. Ayant mis mon réveil, je me lève et essaie de réveiller ma voisine du dessous sans alerter toute la chambre pour qui la grasse matinée semble devoir durer jusqu’à midi. En réaction à ma pression de la main sur son épaule, Maguy bondit, son cœur accélère à 180 et son regard foudroyant tente de m’expliquer sans mot que je ne devrai plus jamais faire ça. Puis le même message arrive avec des mots. Je pars me cacher dans un trou de souris.
Le calme revenu, nous descendons petit-déjeuner. La cuisine commune est à l’image des chambres. Nous en profitons pour négocier un changement d’étage afin de diminuer la température lors de la prochaine nuit. Nous ne serons plus dans la même chambre mais la requête est acceptée. Dans la salle du petit déjeuner, nous retrouvons comme soupçonné le couple d’asiatiques qui nous suit (correction : qui fait le même parcours que nous) depuis Eaglehawk.
En route.
Le début de la route n’est pas des plus pittoresques, et il fait gris. Les plages d’azur et l’eau nacrée nous manquent déjà. Heureusement, les aires d’autoroute sont toujours judicieusement placées pour surplomber la vallée avec un point de vue délicatement choisi. Et il ne pleut pas.
Nous passons le Batman Bridge, qui nous donne l’occasion de nous poser la question de ce monsieur Batman. La première fois que vous voyez une Batman Street ou un Batman Square en Australie, vous vous dites que les australiens ont de l’humour et qu’ils sont moins complexés que les européens pour nommer un lieu officiel comme un personnage de fiction moderne. Au bout de deux ou trois occurrences, vous commencez à trouver ça louche. Et en voyant le Batman Bridge, c’est là que le louche a pris le dessus sur l’amusant.
John Batman est en fait un pionnier australien des débuts de la colonisation. Connu principalement autour de Melbourne dont il a fondé l’état de Victoria, il sert de prétexte à divers lieux touristiques qui indiquent fièrement que Batman a fait pipi ici. Aucun rapport avec Bruce donc.
Après avoir longé la rive gauche et traversé le bat-pont, nous faisons une pause à Georges Town. L’office de tourisme à l’entrée nous remet un plan de la ville et des curiosités locales. La première est derrière nous, et nous faisons donc demi-tour afin de monter vers le promontoire qui permet d’apercevoir la vallée jusqu’à l’Océan au nord, Georges Town au milieu.
Imaginez-vous Georges Town comme un village balnéaire de la côte d’azur. La population y est âgée (nous y reviendrons), le tourisme est le seul moyen d’attirer du monde et de l’argent, sans compter les retraites des pensionnaires bien sûr. Les rues ne sont pas très animées alors que nous sommes en milieu de matinée. Les curiosités locales n’ont rien de bien extraordinaire. Et sur le promontoire qui domine l’agglomération, un panneau : business is booming.
Eclats de rire. Difficile d’imaginer Georges Town comme le bassin de l’emploi en Tasmanie.
Pour nous remettre de nos émotions et comme nous n’avons pas encore pris notre café, nous avançons de quelques curiosités architecturales de peu d’intérêt et nous stoppons au Signature Café. La petite échoppe toute en longueur a la particularité d’avoir tous ses murs recouverts de messages laissés par les visiteurs. On y voit de nombreuses langues dont du français. Quelques dessins. Les cappuccinos sont bus principalement en silence, nos yeux parcourant les murs. Nous n’écrivons rien et nous reprenons notre marche.
Au bout du bout de Georges Town, il y a un phare. Après le phare, un bout de terre soufflé par le vent et couvert de végétation semi-marine. Le soir on peut y apercevoir des pingouins, mais il est midi. Nous avançons tout de même jusqu’au bout afin de marquer le point le plus loin au nord de notre voyage. En face de nous, invisible, Melbourne est normalement toujours là. L’immensité de l’océan vis-à-vis de notre petite taille invite à réfléchir sur notre condition mais nous préférons penser à notre estomac. Il est midi disais-je.
Il fait toujours gris et nous trouvons une aire de pique-nique le long de la plage, juste avant les maisons de retraite. Par un souci de sécurité qui les honore, les habitants ont ajouté une signalisation qui permet aux automobilistes d’être avertis des dangers inhérents à la présence de vieux dans les rues. Des panneaux « AGED » encadrent les résidences associées, on ne peut pas les rater.
Sur notre plage, nous reprenons nos boîtes de thon et nos carottes crues. Le vent n’est pas trop fort et les vagues ne sont pas hautes. Et puis il y a Fangio. Fangio est le surnom que nous donnons à cet homme en fauteuil roulant électrique qui avance sur la plage de toute la vitesse de son moteur. Fangio commence sa course quand nous sortons les victuailles du sac. A l’ouverture des boîtes de thon, Fangio passe à notre hauteur. Nous nous levons pour acclamer l’arrivée de Fangio à l’autre extrémité, et pour repartir. Notre repas est fini, Fangio a fait une belle course. Il n’a pas l’air malheureux. Il n’a pas l’air pressé non-plus.
Nous repassons en ville afin de finir notre tour des maisons typiques de Georges Town. Le plus typique est peut-être le parc du centre ville. Bien aménagé, il est équipé de machines de sport comme dans les salles du même nom. La particularité vient des dessins qui expliquent comment s’en servir. Les hommes sont en pantalon à pli, dans des chaussures de ville et en bras de chemisette. Leur visage porte les marques de dizaines d’année de pratique. Alors le bassin de l’emploi…
Tribut aux hommes qui ont posé le télégraphe au fond de l'océan. Bois sculpté à la tronçonneuse.
En repartant vers Launceston, il nous reste du temps pour une escapade en dehors de la ville. Comme nous n’avons pas trop marché, nous repérons un parc national non-loin de là, qui sera une bonne occasion de nous dégourdir les jambes.
Erreur.
Le Narawntatruc National Park a un nom difficile à retenir et est mal indiqué sur la carte. C’est un premier indice. Quand on s’en approche, les routes sont de plus en plus mauvaises, les panneaux indicateurs sont inexistants, la cabane du garde à l’entrée n’existe pas. Autres indices.
N’écoutant que notre courage (et doc ignorant tous les indices) nous rétrogradons en seconde et nous avançons, bien décidés à trouver un joli point de vue ou un sentier agréable.
Mais plus le temps passe, plus les kilomètres sont avalés, plus on est moins sûrs de nous. Le bon point c’est que le GPS reconnaît la route sur laquelle nous sommes. Même quand elle monte fort. Même quand elle n’est ni pavée, ni goudronnée, ni cailloutée. A un embranchement, un panneau nous indique une fire tower, substantif qui ne nous aide pas mais qui donne toujours un objectif à notre ballade en forêt. Nous continuons. A l’occasion d’un large virage qui nous permet de garer l’auto, nous descendons du véhicule et tentons de suivre des traces de pneus dans les fourrés. Le chemin n’est pas bien balisé et on se demande même si le chemin du retour sera facile à retrouver. Maguy a le sens de l’orientation, ça me suffit. Mais après 10 minutes de marche, nous ne débouchons sur rien, nous n’arrivons toujours pas à voir à travers la végétation alors que nous savons que nous ne sommes sur une colline avec forcément un point de vue élevé. Nous abandonnons, un peu déçus. Dans ce genre de situation, presque perdus en forêt, promenade sans intérêt avec rien à voir, la nuit qui tombe, la boue sur les chaussures… il serait facile de tomber dans le désespoir et la morosité. Mais non. Le comique de la situation nous redonne des ailes et c’est de bonne humeur que nous décidons d’aller au bout de notre connerie. Puisque nous sommes déjà en plein milieu du parc, autant le traverser. Le GPS indique la route, suivons-le.
Le soir commence à tomber, les couleurs deviennent belles. Par chance, les abords de la route se dégagent et au fond la Tamar Valley s’illumine de mille feux. Finalement notre obstination a payé, et cette promenade atypique nous permet de revenir avec de beaux paysages au fond des yeux. La sortie du parc n’est pas loin, il est temps de rentrer à Launceston.
Et là, la barrière.
Jaune et noire, métallique, fermée par un solide cadenas, une barrière coupe la route. Le GPS, têtu, nous demande de continuer. La barrière n’est pas du même avis. Comme rebondissement pour nos aventures dans le Narawntachose, cette barrière est exactement ce qu’il nous fallait. Après l’incrédulité, c’est de nouveau le comique de la situation qui reprend le dessus. Au moins le moral est au beau fixe.
La suite est classique. Demi-tour, route dans l’autre sens, Batman Bridge, Launceston. La musique du retour est un mélange de Danny Elfman (Les Noces Funèbres, L’Etrange Noël de Monsieur Jack), Jason Mraz, David et Jonathan (Est-ce que tu viens pour les vacances). Eclectisme, éclectisme.